« Papa, c’est pour faire quoi, ce caillou ? » s’interroge le petit Karli. « On appelle ça un cénotaphe » lui explique papa Thorfinn. « Cette pierre est censée apaiser l’âme des défunts ». « Friiizour ? ». « Oh, tu arrives à lire ? » s’étonne avec plaisir Thorfinn. « Bravo ! Hild fait un travail remarquable en tant que professeure ! ». « Le cénotaphe, il est pour un monsieur ? ». « Non… » poursuit Thorfinn. « Ce n’est pas un prénom mais un mot dédié aux personnes dont on ignore le nom ». Fridr. « Le seul mot que je sache écrire et le seul qu’il m’importe de connaitre ». Puissent les âmes oubliées reposer en paix. […] « Désolé d’arriver si tard, maître » s’excuse le responsable des chargements, Valgar. « Il faut que je vous parle de quelque chose ». […] « La colonie du Markland ?! » s’étonne Thorfinn. « Yup… » lui confirme Valgar. « Il y a huit jours, on a voulu y faire escale comme d’habitude mais quand on s’est approchés de l’anse pour accoster, trois flèches Lnu ont été tirées dans notre direction ». « Des flèches Lnu ?! ». « Nous avons pris la décision de battre en retraite ». « Et vous avez bien fait ». Les mots plutôt que les armes.
Connaissant à peu près les grandes lignes de l’histoire, je sais pertinemment que la rencontre entre l’occident et les amérindiens se soldera dans le sang. À travers les massacres, les expropriations et les génocides de moult tribus. Ce que j’ignore, c’est le « quand ». Il me semble que ces horreurs surgissent longtemps après la venue des premiers nordiques sur les terres indiennes. Pourtant, les prédictions occultes du sage Misqe’g Pi’gw semblent en adéquation avec les tragédies qui frapperont le continent indien. Malgré tout, je veux croire en l’importance des mots face aux armes. Même lorsque des partisans du deux camps sont prêts à tout pour déclencher une guerre qui, à leurs yeux, est la condition sine qua non de leur survie.
Qu’il est dur de voir la méfiance s’instiller chez quasiment tout le monde. Y-compris chez celles et ceux qui partagent l’idéal de Thorfinn à créer une société sans guerre. Il suffit que la peur s’installe et que quelqu’un d’éloquent manipule les mots comme des armes pour produire des effets délétères. La paix est fragile et son maintien l’est encore plus. La violence et la spirale de la haine qu’elle engendre, en revanche, sont on ne peut plus résistantes. D’autant plus face à la fragilité des émotions et la cupidité sans bornes de l’être humain. Celles et ceux qui parviennent à surpasser ces sentiments et penser au bien commun font malheureusement partie de la minorité.
En revanche, beaucoup aspirent à la tranquillité. Avoir un toit sous la tête, manger à sa faim, poursuivre ses rêves sans nuire à autrui. Voilà des idéaux qui, je l’espère, sont partagés par le grand nombre. Ce qu’il manque, souvent, c’est la Volonté d’avancer. À voir comment tout cela se décantera pour les peuples Lnu et Norrois mais, hélas, l’avenir n’est pas rassurant. Non-seulement le premier coup a été donné mais, en supposant que la paix parvienne à être maintenue, la maladie a fait son apparition. Là, aussi, un fait historique. Et si les épidémies (variole, rougeole, typhus…) apportées par les Européens se confirment, les mots ne suffiront plus. Il faudra soit fuir, soit se résoudre à la pire des issues possibles. La guerre.
